Monastères et couvents disparus : Le couvent des Filles de Notre-Dame .

L’institution religieuse des Filles de Notre-Dame est une congrégation fondée à Bordeaux en 1606 par Jeanne de Lestonnac. Née dans cette ville le 27 décembre 1556, elle est la fille de Richard de Lestonnac et de Jeanne Eyquem de Montaigne, sœur de Michel de Montaigne. Cette jeune femme âgée de 17 ans, épouse le 22 septembre 1573 Gaston de Monferrand, marquis de Landiras, La Mothe et autres places. De cette union naissent sept enfants, dont quatre seulement survivront. En quelques années, jeanne de Lestonnac perd plusieurs membres de sa famille proche : son oncle Michel de Montaigne en septembre 1592, son père en août 1595 et après vingt-quatre ans de mariage, son mari, en juillet 1597 ainsi que son fils aîné la même année. Alors commence pour elle une autre vie. Très pieuse, elle se met au service des pauvres puis, en juillet en 1603, devient religieuse chez les Feuillantines, monastère cistercien très strict de Toulouse. Elle y tombe malade et après quelques mois doit revenir à Bordeaux et se retire sur ses terres de La Mothe pour se soigner. Jeanne fonde ensuite en 1605, avec l’appui du Père de Borde, jésuite, une institution religieuse pour l’éducation des filles : la Compagnie de Marie Notre-Dame, approuvée par le cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux, le 25 mars 1606 et par le pape Paul V, le 7 avril 1607.

Sta._Joana_de_LestonnacPortrait de Jeanne de Lestonnac

Histoire du couvent

Fondation

L’évêque de Saintes, Michel Raoul, souhaite la création d’un établissement de cet ordre dans la ville. Le 31 mars 1618, un bref du pape Paul V autorise l’installation à Saintes d’un couvent de filles de Notre-Dame et en approuve le règlement. Mais l’ouverture de cette maison est différée, les troubles religieux qui agitent la Saintonge à cette époque en sont peut-être la raison. Il semble cependant que Jeanne de Lestonnac soit un temps écartée comme supérieure de la communauté de Bordeaux et que sa remplaçante, native de Saintes, envoie, avec la bénédiction du cardinal de Sourdis, la Mère Badiffe accompagnée de deux autres sœurs et de trois novices pour fonder le couvent.

La première supérieure de cet établissement est sans doute cette Mère Badiffe, parente de Michel Badiffe, sieur de Jarlac, commune de Montils, qui administra la ville en 1605 ( famille anoblie en 1644). Cette femme gouverne avec une sagesse admirable, attirant les unes par la douceur, les autres par la sévérité. Une autre religieuse, la Mère Labat, sur laquelle nous ne possédons aucun renseignement, et d’autres novices jettent définitivement les fondements de cette nouvelle maison où les filles catholiques, ainsi que quelques protestantes repenties reçoivent leur instruction.

Le couvent des Filles de Notre-Dame est donc crée à Saintes en 1626. Les religieuses s’installent le long de l’ancienne route de Rochefort, longtemps dénommée rue des Notre-Dame et devenue depuis 1929 rue du général Sarrail.

Le couvent implanté, le reste de la communauté arrive à Saintes sous la conduite de sœur Françoise Boulaire. Les religieuses vont aussitôt s’agenouiller dans la cathédrale Saint-Pierre et se rendent ensuite à l’abbaye Sainte-Marie des Dames où l’abbesse Françoise II de Foix les reçoit et leur donne sa bénédiction. Elles entrent ensuite dans leur maison bénie ainsi que la chapelle par le grand vicaire.

Education des jeunes filles 

Ce sont des filles de la bonne société qui viennent s’instruire dans le couvent. On leur enseigne un minimum de connaissances pratiques et religieuses dans le but d’en faire des épouses respectables, de bonnes mères de familles à la compagnie agréable et si elles ont la vocation, des religieuses.

Les pensionnaires doivent être en bonne santé car l’établissement ne souhaite pas voir ses cours décimés par une épidémie. le coût pratiqué pour l’instruction des élèves est mal connu mais peut-être faut-il se fonder sur un tarif oscillant entre 250 et 600 livres par an. Les internes logent dans des dortoirs pouvant atteindre une trentaine de lits. Si ce couvent accepte les filles riches et celles qui le sont un peu moins, elles ne sont pas mélangées afin de ne pas susciter de jalousie.

costume filles deEssai de restitution de la tenue des pensionnaires

Les pensionnaires portent vraisemblablement un uniforme de couleur bleue. La coquetterie, plutôt mal vue est combattue. Les miroirs sont supprimés et on leur demande, au lever comme au coucher, de s’habiller et de se déshabiller le plus vite possible pour éviter toute indécence. En réalité, surtout en hiver, le froid qui règne dans les dortoirs mal chauffés oblige les filles à s’apprêter rapidement pour ne pas geler sur place.

Les jeunes pensionnaires sont théoriquement soumises au même régime de claustration que les sœurs, mais certains aménagements sont toutefois prévus pour alléger leur quotidien. Les demi-pensionnaires, qui habitent en ville et viennent tous les matins suivre les cours au côté des pensionnaires, sont introduites par les tourières, puis une fois la porte refermée, leurs maîtresses se présentent à elles par une issue opposée. Ainsi la religieuse ne risque jamais d’être en contact avec le monde extérieur.

Le couvent et ses propriétés

Le 15 juillet 1690, Claude Ozias, supérieure du couvent, déclare qu’elle est tenue à rente noble directe et foncière envers le prieur de Saint-Vivien mais elle n’en a aucun titre ni contrat, ceux-ci ayant brûlé, dit-elle, pendant les guerres. La communauté possède cependant trois petites maisons, situées en la paroisse Saint-Michel. Les sœurs y logeaient en attendant leur installation dans le couvent. Les religieuses héritent ensuite de quelques bâtiments et terres labourables dont elles payent les dîmes et rentes aux seigneurs de Chadignac, Fief-Gallet à Pessines, au doyen du chapitre de Saintes, aux prieurés de Saint-Vivien et Saint-Macoult. Une propriété leur a été adjugée aux Rabannières par sentence et décret du siège présidial de Saintes le 28 septembre 1641. La communauté possède également deux aires de marais salants, l’une en la prise de Gimeux partagée entre la seigneurie d’Hiers et l’abbesse de Saintes et l’autre en la prise de Tournedos, sur le chenal de Trousson. Elles possèdent d’autres marais, au lieu-dit Piedrouty, paroisse de Saint-Martin de Gua, mouvance de la seigneurie de Marennes.

Elles sont encore propriétaires d’un autre marais sur la Seudre par contrat du 14 août 1683. Les sœurs déclarent qu’il leur est dû, depuis le 31 juillet 1651, la somme de 25 livres de rente par les frères Cordeliers en raison de cession de certains près, situés en la seigneurie d’Orlac, et une maison dans le faubourg Saint-Eutrope, près des Roches, ruinée par les guerres et dont elles ont perdu le contrat.

Tels sont tous les biens, domaines et héritages que possèdent les religieuses des Filles de Notre-Dame. Elles ne jouissent d’aucun bien noble, mais perçoivent les pensions des filles qu’elles instruisent. Vivent au couvent une trentaine de religieuses professes et de chœur dont neuf sœurs laies. S’ajoutent à ce nombre leur confesseur, deux servantes du dedans et deux autres du dehors, appelées tourières ainsi que trois valets qui entretiennent le dit couvent et sont chargés de la décoration de l’église.

Faits divers au couvent

Le 22 février 1739, le procureur du roi informe le lieutenant criminel, Jean Elie Le Mercier, que la fille aînée de feu sieur de Gabaret, pensionnaire au couvent, s’est suicidée en se précipitant dans le puits de la maison.

Une bien pénible affaire, car dans un couvent on ne se suicide pas! Toutes les soeurs entourant la pauvre jeune fille sont persuadées qu’elle s’est jetée dans le puits pour mettre fin à ses jours. On la savait malade et quelque peu dérangée. Jean Elie Le Mercier, en plus de ces témoignages, siganle avoir trouvé sur la margelle une paire de souliers avec des boucles d’argent et une bagnolette de paille ( petite coiffe ancienne). Le médecin François Rivière, en examinant le corps, en déduit qu’elle a environ 18 ans, remarque une légère meurtrissure à la jambe gauche et conclut à une noyade.

Le procureur du roi, vu la requête et le rapport du médecin, décide qu’il s’agit d’un crime d’homicide volontaire et pour instruire la procédure réclame un curateur au cadavre. Il nomme pour la fonction requise Me Jean Degranges, procureur au siège présidial, qui paraît sceptique sur la thèse du suicide. De l’enquête menée par l’homme de loi, il ressort que la demoiselle de Gabaret avait des idées d’évasion et qu’elle avait déjà tentée plusieurs fois de s’échapper du couvent. Et c’est peut-être en cherchant à s’évader, dans la nuit, qu’en grimpant sur un appentis elle a perdu l’équilibre pour tomber la tête la première dans le puits qui se trouve juste en dessous.

Pour statuer dans un pareil cas, il faut fournir des preuves, ainsi que des témoins. Ce qui n’est pas le cas et l’on ne  peut pas certifier que cette jeune personne ne se plaisait pas dans la maison et avait des envies de liberté. Il est impossible de prononcer une condamnation sur de simples présomptions. Mais la conclusion du 25 février 1739 est toute autre : la dénommée de Gabaret est inculpée de suicide par noyade en se jetant volontairement dans le puits. Sa mémoire est alors condamnée à perpétuité et une amende de 100 livres st à verser au roi par la parenté. L’exécuteur de haute justice devra ensuite attacher le cadavre de la pauvre malheureuse sur une claie, la face contre terre, derrière une charrette et traîné par les rues de la ville jusqu’à la place du Palais. Là, elle devra être pendue par les pieds à une potence pour y demeurer jusqu’au soir.

Il semble que cette sentence ne fut jamais exécutée et que l’habile Me Degranges renversa l’accusation en la faveur de la jeune fille. Toujours est-il que le corps de mademoiselle Gabaret fut inhumé dans la cour du Palais.

Décidemment il se passe de drôles de choses dans ce couvent. En septembre 1775, Me Philippe Auguste Vieuille, conseiller du roi, magistrat au siège de Saintes, porte plainte contre le crime d’enlèvement de sa fille pensionnaire au couvent. Dans la nuit du lundi au mardi 19 septembre 1775, Joseph de Fleurant, écuyer, mousquetaire de la garde du roi, ayant une chambre dans la maison du sieur Soutine, dit Langoûmois, rue de la Souche, paroisse Saint-Pierre, décide avec trois de ses complices, vêtus de redingotes, d’enlever Marie-Claude Vieuille  et l’emmène chez lui. Imaginez la stupéfaction de la mère supérieure et des religieuses et surtout la colère du père qui ne demande pas réparation par un mariage, mais fait accuser le mousquetaire de crime; celui-ci sera condamné à mort par contumace.

A la Révolution, certaines sœurs placées très jeunes dans le couvent par leurs parents et n’ayant aucune vocation religieuse, profitent des derniers décrets pour retourner à la vie civile. C’est le cas de Madame Lauzet, ex-religieuse des Sainte-Claire, qui sort définitivement du couvent des Filles de Notre-Dame, où elle avait été transférée en 1787. Cette personne, accusée de légèreté et d’inconvenance par son ancienne supérieure de la rive droite, se trouve de nouveau dégoûtée du cloître. Elle en sort le 18 juillet 1790 en habit du monde, prétendant être maltraitée et même battue par les autres religieuses, ce qui est peut-être exagéré. Elle combine sa sortie. Elle combine sa sortie avec une demoiselle Grelet, un mauvais sujet paraît-il, qui fait les démarches nécessaires auprès de Bernard des Jeuzines pour obtenir un logement avant son départ pour Paris où elle a de la famille. Le révolutionnaire s’empresse de leur accorder une chambre dans sa maison de Saintes. Ainsi les deux ex-nonnes viennent habiter chez ce veuf sans mœurs et chez lequel se rendent tous les jours une douzaines d’officiers jeunes et libertins. Bernard donne alors des soirées en ville et une fête brillante dans sa nouvelle maison de campagne au Plessis, commune de Chaniers en leur honneur et pour leur déshonneur !

Claude Masse négatifs 041 Plan particulier de Saintes F 13Plan de Claude Masse de 1715. Le couvent  est noté 12 sur le plan. La chapelle du couvent est à gauche de l’entrée donnant sur la rue

Le couvent pendant la Révolution

Comme dans tous les autres couvents de la ville, les cloches sont enlevées, le 1er juin 1792, dans la cour de l’hôtel de la commune pour ensuite être fondues à La Rochelle. Le couvent fermé, en décembre 1792, les meubles de la communauté dispersés.

Puis les bâtiments servent de prison. En 1794, 44 personnes sont transférées de Brouage à l’ancien couvent des Notre-Dame qui renferme alors 128 détenus, dont 58 religieuses.

Le 25 septembre 1794, et dans les jours qui suivent, y sont transférés des détenus infirmes venant de l’hôpital de la Charité. Ils sont traités avec sévérité et dureté. Le 9 janvier 1795, 67 personnes emprisonnées, tant pères que femmes d’émigrés, suspects et religieuses de tous les ordres sont libérés. Au 14 mai 1795, il ne reste que 2 prêtres.

L’ensemble des bâtiments est mis en vente. Il est divisé en plusieurs lots, attribués en date du 18 nivose an VI ( 7 janvier 1798), au terme de 5 procès-verbaux d’adjudication de l’administration centrale du département, aux citoyen Lagarosse, Gallochaud, Riondel, Massiou et Soustras.

Le général Muller et sa descendance

Le général Jacques Léonard Muller va jouer un rôle important dans ces transactions en devenant en 1804 le seul propriétaire de l’ancien couvent. Beaucoup de travaux sont effectués dont la disparition probable des grands bâtiments de l’ancien établissement religieux. Le groupe de maisons abritant jadis les parloirs et le pavillon d’entrée devient petit à petit un hôtel particulier, un des plus beaux de la ville, où le général peut couler des jours heureux, avec son épouse et ses deux filles. Les descendants du général Muller restent propriétaires tout au long des décennies suivantes. Marie-Henriette-Louise Boscal de Réals, veuve du petit fils du général, installe dans une partie de sa propriété les Frères de la doctrine chrétienne qui ouvrent leur établissement d’enseignement le 24 septembre 1877. Elle cède ensuite, le 3 janvier 1878, l’essentiel de son terrain, dont celui occupé par l’école, à Marie-Catherine Jamet, en religion sœur Marie-Augustine de la Compassion, supérieure générale de la congrégation des Petite sœur des Pauvres. Celles-ci revendent la parcelle de l’école en 1939.Le 23 juin 1940, les troupes allemandes arrivent à Saintes. les autorités ennemies mettent en place une Kommandantur d’arrondissement, de laquelle dépendent un service de surveillance et un service de maintien de l’ordre, feldgendarmerie, qu’elles installent dans ce qui reste des anciens locaux du couvent des Notre-Dame.Il semble que le baron Von Buddenbrock soit l’un des responsables de la Kommandantur de Saintes, car il signe plusieurs avis concernant la réglementation de la ville.

Le 27 mai 1946, la veuve de Louis Boscal de Réals de Mornac vend l’ancien hôtel du baron Muller et son parc, rue du général Sarail ( rue des Notre-Dame jusqu’en 1929), à la ville de Saintes qui y installe un centre médico-social, aujourd’hui fermé, et l’école maternelle Emile-Combes en 1959, transférée depuis l’emplacement de l’ancienne école des Frères de la doctrine chrétienne, rachetée par la mairie en 1982.

Architecture du couvent

Dans un acte de 1634, l’architecte Guillebot commande des pierres et des douelles pour le couvent en construction. Séparé du monde extérieur par de hauts murs, le couvent dispose d’une chapelle qui se compose d’une nef rectangulaire, d’une abside et d’un espace réservé aux religieuses, séparé du chœur par de hautes grilles. Pour la célébration du culte, les sœurs obtiennent le privilège habituel : sonnerie de cloches, aumônier particulier et confesseur attachés à la communauté. Cette chapelle se situe en bordure de rue, contigüe au portail d’entrée. Une petite cour donne accès aux parloirs du dehors et du dedans. Une autre porte permet d’arriver dans la grande cour où s’élève le grand bâtiment en équerre avec au rez-de-chaussée, les cuisines, le réfectoire et aux étages les dortoirs. A l’extrémité du bâtiment se trouve, côté rue, le cloître. Des dépendances s’éparpillent dans un grand jardin planté d’arbres fruitiers. L’ensemble du couvent s’étend sur quatre journaux ( environ 1,3 ha).

Après 1804, le général Muller effectue beaucoup de travaux qui entraînent probablement la disparition des grands bâtiments de l’ancien établissement religieux. Le groupe de maisons, abritant jadis les parloirs et le pavillon d’entrée, devient petit à petit un hôtel particulier, un des plus beaux de la ville.

Patrice Gerbois et le groupe de recherche sur les couvents saintais disparus, publié dans le bulletin SahCM n°45 de 2018 disponible à la vente sur ce lien