OCTOBRE – Corne d’abondance

C’est le moment du labour et des semailles dans les campagnes, plus tard viendra la récolte. Ce produit de la terre et d’autres bienfaits débordent de la corne d’abondance, un symbole toujours tenu par des femmes sur les représentations divines retrouvées à Saintes et ses environs.

Si Cérès la romaine ou Déméter la grecque, déesses de l’agriculture et de la fertilité, sont parfois représentées assises sur un trône, une corne d’abondance tenue contre elles, à Thénac c’est la déesse Cybèle qu’on a retrouvée ainsi. Aux abords du théâtre situé à 6 km au sud de l’antique Mediolanum, on a découvert une pierre semi-précieuse gravée en creux* de la « Grande Mère » trônant la corne à la main. Maîtresse de la nature sauvage et fertile, elle était accompagnée de ses deux lions qui rappellent ses origines orientales.

Suivant une légende, cette corne mythique viendrait du Mont Ida en Crète où le roi des dieux Jupiter fut allaité. C’est la corne de la chèvre Amalthée, sa nourrice, qui s’est brisée pour devenir une source inépuisable de délices.

Sur un morceau de sculpture découvert au cimetière Saint-Vivien à Saintes, de beaux fruits en jaillissent avec un épi de blé ruisselant. La main d’une déesse baguée semble en retenir le flux alors que celle d’un petit enfant la tient encore à sa base.

Il faut se rappeler que dans la ville, les statues des dieux ont été trouvées décapitées, souvent jetées au fond des puits antiques. Parmi les divinités possédant la fameuse corne, Louis Maurin, président honoraire de la Société d’Archéologie, y décèle des déesses-mères. En particulier dans ces groupes de femmes en calcaire, assises par deux côte-à-côte sur des sièges, dont une dizaine sont sorties de terre depuis le XIXe siècle.

Habillées d’une longue tunique plissée, avec parfois un châle passé sur l’épaule et descendant sur les genoux, elles dévoilent de temps à autres une coupe à offrandes, des fruits, peut-être des gâteaux ou du pain..

Bien que ces couples de déesses paraissent très romaines par leurs vêtements et leurs attributs, elles sont pourtant bien santones, tel l’étrange dieu-masque, la tête hérissée de phallus qui les accompagne à l’occasion, comme symbole évident de fertilité.

Ce sont des « Matres » ou « Matronae », venant du monde celte et que l’on retrouve aussi en Italie du Nord, en Angleterre et même en Allemagne où un groupe de trois déesses-mères assises étaient vénérées. Certainement protectrices d’une tribu, d’un lieu ou d’une source sacrée, leur mythe et leur nom nous échappent presque toujours mais les nourritures terrestres qu’elles présentent, ainsi que les enfants qui les accompagnent ou qu’elles allaitent, en font des figures de la fécondité, maternelles et bienveillantes.

Elles apportent la prospérité comme la corne d’abondance, expression de leur nature généreuse.

 

Cédric Grené, guide conférencier, master d’histoire de l’art

 

 

* Intaille en cornaline à l’origine monté sur une bague pour servir de sceau, découverte « près du village des Arènes » dans les années 1940

Bibliographie :

L. Maurin, K. Robin, L. Tranoy, Saintes 17/2, coll. Carte Archéologique de la Gaule (dir. M. Provost), Gap, Académie des inscriptions et belles lettres, 2007, 439 p.

L. Maurin, M. Thauré, Saintes à la recherche de ses dieux, publication du Musée archéologique de Saintes, édité par la Société d’archéologie et d’histoire de la Charente Maritime, 1984, 38p.

M. TH. Raepsaert-Charlier, Culte et territoires, Mères et Matrones, dieux « celtiques » : quelques aspects de la religion dans les provinces romaines de Gaule et de Germanie à la lumière de travaux récents, Antiquité classique, 84, 2015, 226 p.

Photo en entête : Intaille de Thénac représentant la déesse Cybèle portant une corne d’abondance sur sa droite

Photo 2 : Corne d’abondance avec main de divinité posée sur les fruits, découverte au cimetière Saint-Vivien à Saintes (1843)

Photo 3 : Groupe de deux déesses-mères retrouvé au cimetière Saint-Vivien (1892), celle de droite tient une patère et une corne d’abondance (INV.49.440)